dans tes souvenirs, raconte-nous la première fois où tu as été confronté au « mal ». quelles étaient alors tes options et quel a été ton choix ? ✚ Le Mal. C'est une notion bien abstraite. Le Mal, il l'a connu toute sa vie. Il est né dans la famille du Diable. Cette grande mascarade de faux-semblants et de sourires malveillants. Pourtant, il pensait vraiment vivre dans le bien. Il croyait dur comme fer que tout ce qui l'entourait était beau, et pur. Aussi, lorsqu'il a vu son oncle frapper sa sœur et lui retirer ses vêtements, il est resté bouche bée, là, contre la porte. Il avait quatorze ans, elle en avait douze. Elle pleurait, et lui il s'est avancé. Son oncle l'a attrapé par l'épaule et l'a collé contre le mur. Natanael n'a aucun souvenir de ses paroles à ce moment là. Tout était flou, tout était faux. Il fixait sa sœur et voyait du sang couler. Lorsque son corps est retombé contre le sol, il a vu le reste de sa famille à la porte. Comme des chacals qui attendent le dernier morceau de viande ils étaient tous là à observer. Le gamin restait silencieux, et lorsque son oncle s'est tourné vers lui et a dit « Il a tenté de la violer. » Natanael n'a pas compris. Il a regardé la petite lumière de sa vie, sa sœur qui pleurait, et lorsqu'il l'a vue acquiescer il n'a pas compris. L'instant d'après il était mis dehors. Accusé d'être un monstre, renié, forcé à vivre dans l'ombre. La porte a claqué sans que personne ne se retourne sur lui. Et à la fenêtre, il a vu sa sœur s'excuser, et il n'a pas compris.
Il n'avait rien fait. Il n'avait rien demandé. Au mieux, il lui avait même évité d'être abusée. Et pourtant, le voilà dehors. Seul, abandonné. Et à force de marcher, de ne voir que son propre reflet, il a fini par croire qu'il l'avait fait. Croire les voix qui lui répétaient qu'il était un monstre, un taré. tes choix de vie t'ont-ils déjà apporté des ennuis ? ✚ Natanael avait une vie tranquille jusqu'à l'incident. Il avait toujours suivi les règles, toujours bien écouté. Il était en passe de devenir le parfait petit héritier pour ce que cela comptait. Pourtant, quand il s'est retrouvé à la rue, naïf, gamin des jolies rues, il a cru ce qu'on lui disait. Parfois, il s'est retrouvé au milieu d'un bordel noir, à ne pas comprendre ce qu'il se passait. Ce n'est pas ses choix de vie qui lui ont apporté des ennuis, c'est la vie qu'on lui a donné qui lui a montré qu'il fallait se forger. Il a appris à se battre, à se défendre. Il tente de se dire qu'il ne se bat que pour la bonne cause, pour protéger ceux qui ne le peuvent pas. Pourtant, au fond de lui, il a cette voix qui lui dit que c'est lui le mauvais côté, que c'est à cause de lui que du sang finit toujours par couler. quelle importance accordes-tu à l'humanité dans son ensemble ? comment te comportes-tu socialement ? ✚ Le garçon n'est absolument pas sociable. Non pas qu'il n'aime pas les autres, mais parce qu'il a peur de leur faire du mal. Il se sent poison, se dit que tout ce qu'il touche finira un jour par mourir par sa faute. Alors il reste loin de tout, loin de tous. Il préfère se réfugier dans ses livres tant qu'il peut, noyant autant que possible ses pensées dans une réalité où il n'est plus ce qu'il est. serais-tu plutôt la « tête » ou la « main » ? ✚ Il se cache, il se perd, pourtant, dès qu'il se retrouve dehors il est le premier à donner des coups. Il frappe jusqu'à ce que ses phalanges deviennent noires, jusqu'à ce que sa vision se floute. Il se croit l'un, refuse d'être l'autre. Il ne sait pas ce qu'il est et ce qu'il n'est pas. Il tente désespéramment de n'être plus rien, en vain. quelles sont tes pires craintes et tes plus grandes angoisses ? ✚ Natanael craint plus que tout de revoir sa sœur. Il craint de revivre cette image de ce fameux jour. Il craint de voir dans les eux de celle qu'il admirait tant, la peur, et la haine aussi. Il craint aussi de se réveiller avec un mort sur la conscience, du sang d'innocent sur les mains. Et pire que tout, il a peur de voir son pire cauchemar se réaliser. Tuer de ses mains celle qu'il a toujours aimé. dans ces adjectifs, le(s)quel(s) te définis(sent) le plus ? (indique les en gras) ✚ improvisation, impétuosité, rêverie, instabilité, adaptivité, sens pratique, intuitivité, négligence, gaspillage, passivité, habitude, introversion.
Un rire éclate dans mes oreilles alors que je cours à en perdre mon souffle. Je cours et je me retourne. Derrière moi, les petits pieds et les cheveux blond de ton visage s'illuminent. Mon rire se joint au tien alors que je ralentis la cadence pour que tes petits doigts touchent mon dos. « C'EST TOI L'CHAT ! » ta petite voix retentit alors que tu cours dans l'autre sens. Je ris et alors que je m'apprête à te poursuivre, une main m'attrape l'épaule. Maman est là, elle me regarde de toute sa hauteur et me demande d'arrêter de courir dans la maison. Je lui offre ma plus belle moue désolée et tourne les yeux derrière elle. Papa est encore en réunion. Il n'est pas tout seul, il y a toute la famille. Maman dit que j'apprendrais tout cela quand je serai grand. Mais toi, tu sais, tu sais que je ne veux pas devenir grand. Tu sais que le liquide rouge qui coule a flot et la fumée qui pique la gorge, ça ne m'intéresse pas.
Tout ce qui m'intéresse, c'est ton bonheur à toi. Nous sommes cinq enfants. Tous bien habillés, tous bien éduqués. On sourit poliment, et on a appris à se taire gentiment. Les cours se passent bien, et l'on grandit tous. J'ai douze ans, et toi, t'avais dix ans. Maman nous disait que nous n'étions plus des enfants. Je commençais à assister à des réunions et je passais plus de temps avec nos aînés alors que toi tu restais près de Victoire et Leonart pour continuer à jouer à chat. Je vous observais, envieux, des grandes portes vitrées, et toi, tu me souriais. Cette année là, j'ai appris que quand on devenait grand, mentir n'était pas toujours quelque chose de mal. J'ai appris qu'il y avait des tas de choses que je ne devais pas répéter à maman. J'ai appris que je devrais faire certaine chose pour être vraiment grand. Je n'étais pas trop d'accord, mais il me restait encore du temps. Alors je restais silencieux et je cachais mon livre sous la table pour m'évader de ce monde qui ne sonnait plus si doux à mes oreilles. Tristan était toujours là, après tout, il était le seul plus grand que moi. Il avait trois années de plus, et semblait infiniment plus grand. C'est lui qui m'a donné ma première cigarette. Nous étions tous les deux, dehors. Et alors que mes jambes pendaient dans le vide, je lui disais que je ne comprenais pas trop le monde qu'on nous montrait. Il a rigolé, et dit que lui non plus. Mais il m'a dit de pas m'inquiéter, que quand ce serait notre tour, ce serait différent. La cigarette qu'il m'a tendu m'a semblé immense. Tristan a toujours été souriant, réconfortant, et de ma main droite, j'attrapais maladroitement cet objet qu'il me tendait pour le porter à ma bouche. Il l'allumait, et je toussais. On a ri, tellement ri.
L'année de mes treize ans, je suis allée te voir beaucoup danser. J'avais perdu l'habitude l'année d'avant, mais j'en avais eu marre qu'on nous éloigne autant. Et je te voyais là, sur la piste. Souvent, je t'attendais dehors, fumant sans tousser, une fumée qui finirait sans doute par me tuer. « Salut Princesse. » Tu me cognes l'épaule et je ris. T'as toujours détesté que je t'appelle comme ça, et pourtant, ce titre ne va à personne mieux qu'à toi. Je t'attrape par l'épaule et te ramène à la maison alors que tu me racontes les histoires de tes copains et copines. Alors que tu me dis que tu crois que t'es amoureuse. Je souris. Tant que t'es heureuse. Cette année là est sans doute la plus belle de toute. Tu t'épanouis et tu grandis. Tu deviens belle et forte, et on est fier. Tristan et moi, on parle souvent de toi. De comment, quand t'es née, t'étais minuscule, et de comment aujourd'hui, t'es devenue si grande. Parfois, on en revient même pas. Mais cette année là, si tu savais comme on a été fier de toi.
Et puis il y a eu l'anniversaire de tes douze ans. Toute la famille réunie, et les discussions qui tournaient autour des affaires. Toujours les affaires. J'étais à l'autre bout de la table, Tristan près de moi. Lorsqu'il s'est retourné et m'a demandé où t'étais, j'ai dit que je ne savais pas. Alors je suis monté te chercher, je lui ai dit que je revenais. J'ai monté les grands escaliers et parcouru le couloir le sourire aux lèvres. T'étais belle dans ta robe de danseuse. Et puis, j'ai entendu du bruit, c'était dans ta chambre. Alors, sans frapper, un sourcil arqué, j'ai tourné la poignée. Et quand je suis entré, il était là, sur toi. L'oncle Alfred. Je suis resté sur le pas de la porte alors qu'elle résonnait, se cognant contre une chaussure mal rangée. Mon cerveau s'est arrêté, et j'ai tenté de comprendre. Les larmes dans tes yeux. Ta robe déchirée. Ta lèvre qui saignait. L'oncle Alfred à tes côtés. Mes pupilles parcouraient la scène alors que j'avançais d'un pas. Et mes oreilles se sont mises à siffler. Je n'entendais plus rien. Plus un mot, plus un bruit. Je te regardais, toi et tes iris bleutés. Je te regardais et je cherchais à assimiler ce qu'il venait de se passer. Mon corps qui retombe lourdement sur le sol et les cris qui me ramènent à la réalité. Tout s'est passé si vite, et toi, tu hoches la tête.
Mon cœur se brise alors que je bredouille des mots sans pouvoir parler. Que venait-il de se passer ? J'étais incapable de dire, de me souvenir. Tout le monde me regarde horrifié, et toi, tu sembles tellement triste. Sans faire attention aux autres je cherche à m'avancer vers toi. Je voudrais te demander ce qui ne va pas. Mais une main m'en empêche, elle me cogne dans les côtes. Mon souffle se coupe et mon regard se tourne vers tous ces gens qui me fixent comme si j'étais un monstre. L'instant d'après, je finis dehors. La grande porte claque et la voix de papa résonne en hurlant que je ne remettrai plus les pieds ici. Il hurle que la seule raison pour laquelle il me laisse en vie, c'est qu'il ne veut pas tuer son fils. Et moi, je ne comprends pas. Je te regarde à ta fenêtre, et tu pleures. Et je suis là, avec un sac d'affaires en main, avec cette douleur atroce dans mes mains.
Je marche. Longtemps. Je marche jusqu'à tomber. Je ferme les yeux, et je crois ne plus jamais revoir cette réalité. Pourtant, il ne faut pas longtemps pour que mes yeux se réouvrent. Je cligne un moment, tentant de m'adapter à la lumière. Face à moi, il a quelqu'un qui me parle. Je ne comprends pas ce qu'il dit. Il me regarde et me pose des questions. Rapidement, je réalise que je suis à l'hôpital. Avant d'avoir pu dire quoique ce soit, je me rendors. Ce n'est qu'un mauvais rêve, et je suis sans doute dans mon lit. Demain, tout sera fini.
Je me réveille quelques jours plus tard et je comprends. Tout cela n'a rien d'un rêve. Tout cela est bien réel. Mon flanc, mes muscles, mes côtes me tirent. Je me redresse douloureusement sur le lit et finalement une infirmière arrive. Elle me parle gentiment, me demande si je n'ai pas trop mal. Lorsque je demande ce qu'il m'est arrivé, elle me dit que l'on m'a trouvé dans la rue, blessé. Alors les souvenirs reviennent, comme des flash. Tes larmes et l'oncle Alfred qui me plaque contre le mur de ta chambre, le coin du meuble qui s'enfonce dans ma peau et toi qui pleure. Je t'ai fait du mal ? Je ne me souviens pas, mais tout le monde crie, me regarde mal. Et toi tu pleures, et tu acquiesces. Alors, c'est ça, je t'ai fait du mal. Je me mets à pleurer, incontrôlable. Les sanglots arrivent en masse et on vient me retenir à plusieurs.
Il paraît que c'est ce que l'on appelle une crise d'angoisse.
Je suis finalement sorti, et aujourd'hui, j'ai seize ans. J'ai laissé le nom de Chestshire qui ne m'appartient plus pour celui de Harper. Tristan est venu en douce m'apporter les papiers. Il ne m'a pas regardé tout le long de l'échange, et j'ai promis de ne plus l'appeler. Dans ma nouvelle vie, fini les beaux habits et les écoles de renoms. Il n'y a que moi et le lycée public. L'avantage, c'est que peu importe les bâtiments, j'ai toujours les livres. Je vis dans la rue, je vis chez des gens de ma classe qui parfois me prennent en pitié. Je ne reste jamais longtemps. Parce que je suis mauvais. J'ai abîmé la plus belle lumière de ma vie, je ne laisserai pas ça se reproduire. Et puis finalement, à force de travailler à côté, je me trouve un petit appartement.
C'est pas grand chose, c'est même lugubre. Mais c'est mieux que la rue. Alors je bosse n'importe où et je tente d'étudier, suffisamment pour avoir de quoi manger sans devoir nettoyer la merde des autres. Les gens sont sales, les monstres sont partout, et je regrette le temps où j'adorais être un ripou. J'ai fait ce que j'ai pu, et j'ai réussi à passer quelques diplômes. Je suis bibliothécaire, tranquillement dans mes livres du matin au soir. Je suis seul et ne parle à personne. Quand je parle à quelqu'un, tout tourne mal.
Depuis que je suis parti, tous les scénarios sont passés dans ma tête. D'abord, celui que j'avais tout inventé. Ensuite, celui que je n'avais rien fait. Et finalement, lors de mes dix neuf ans, j'ai réalisé que j'étais responsable de tout, et que personne ne me pardonnerait jamais. C'était un soir après la débauche. Je complétais mon maigre salaire en travaillant quelques soirs dans un restaurant. C'était pour me payer des bouquins, pour pouvoir me louer un appartement un peu plus décent en attendant de finir mes études. J'étais dehors, dans une ruelle. Avec moi, il y avait Lexa, elle fumait avec ce petit sourire en me racontant tout un tas de conneries. Plutôt silencieux, je m'étais éloigné un peu pour aller pisser. Et j'ai entendu un cri. Me retournant aussi vite que possible, j'ai vu cette silhouette imposante sur elle, la menaçant de son poing dégoûtant. Alors j'ai couru, j'ai serré les poings et les mâchoires. De mon élan je l'ai éloigné d'elle. Et j'ai cogné. Cogné. Cogné encore. J'ai cogné pour ne plus entendre Lexa crier. Finalement c'est sa main sur mon épaule qui m'a arrêté. Le type était inconscient. Miraculeusement encore vivant. Elle m'a remercié, mais dans son regard, on pouvait voir qu'elle avait peur. J'essuyais mon visage de ma main ensanglantée et je m'excusais. J'étais un monstre, je l'avais juste caché. J'étais un monstre, et ce soir, je m'en souvenais.
Je ne m'attache pas aux gens. Je ne parle pas aux gens. Je reste seul. Je reste avec mes livres et mon chat. Je vais de la bibliothèque à mon appartement et inversement. J'ai peur de moi, j'ai peur de ce que je suis, de ce que je fais. Alors je reste seul, et même si je vais dans les bars, j'évite de parler. Je préfère le silence, ne pas imposer ma présence. Je ne peux pas défaire qui je suis, mais je peux tenter de ne pas l'imposer aux autres. Dans ma tête, c'est un plan parfait. Dans la réalité, beaucoup moins. Je ne me suis jamais battu pour autre chose que pour me défendre ou défendre quelqu'un, du moins, pas depuis que je t'ai fait du mal. Mais pourtant, je me suis battu un nombre considérable de fois. Mes phalanges gardent des marques et mon esprit ne me laisse rien oublier. Je me persuade que je me bats pour des bonnes causes, mais il y a cette voix, tout au fond de moi. Cette voix qui est un peu la tienne, qui me répète qu'il n'y a pas de bonnes raisons, que de belles excuses. Cette voix qui me dit chaque matin quand je me réveille que je suis un monstre et qu'il faudra bien que je l'admette.
C'est un cauchemar qui ne me quitte jamais, qui me hante chaque jour. J'ai peur de mon reflet plus que d'une balle en pleine tête. J'ai peur de qui je suis. Peur de ce que je t'ai fait. Mais pour une raison que j'ignore, je reste en vie. Cette petite flamme au fond de moi, qui me dit que tout n'est pas fini, tout n'est pas si simple. Ce petit truc, qui me fait croire, que même le monstre a quelque chose à délivrer, à montrer. Je touche du bout du doigt la cicatrice que je viens de frotter et qui saigne à nouveau. Je me crispe à cette sensation de douleur qui me rappelle comme tu peux avoir mal chaque jour. Je suis vivant, peut-être parce que je suis trop lâche pour mourir. Je suis violent, mais trop faible pour le dire. Je t'ai fait du mal, et je suis trop con pour m'en souvenir.