Reverse of Shade (Lysandro)

FLASHBACK - « Lysandro Morelli. » marmonne-t-il, lui, l'apprenti flic qui désire être plus qu'un mec des rues. Celui qui a des rêves en verre brisé, celui qui ne sait pas vraiment d'où il vient. Un  nom glissé par sa mère lorsqu'elle était encore capable de parler du passé. Un père absent, une mère enlaidie par la bipolarité douloureuse. Enfermée pour ne pas s'en prendre à son fils, pour ne pas se droguer, pour ne pas laisser son gamin livré à lui-même. Lysandro, lui, le gosse des rues que l'on a rapidement placé en foyer et qui a fini par vouloir chasser les pourritures. « Vous êtes en retard. » rétorque la femme entre deux âges, même pas assez jolie pour faire oublier ses énormes lunettes en écaille rappelant une autre époque. Elle lui adresse un signe de tête pour lui signifier de pénétrer dans le bureau en question. Il ne se fait pas attendre. Il ne sait pas vraiment pourquoi il est convoqué, mais il est le seul à l'avoir été. Le stress, celui qui le consume depuis qu'on lui a dit qu'il était attendu, et les regards appuyés des autres types de sa promotion, ceux qu'ils dardaient sur lui depuis cet instant. Il pénètre dans le bureau, scrutant brièvement ce qui l'entoure, avant de laisser ses pupilles de fixer sur l'homme qui lui tourne le dos, regardant par la fenêtre, comme s'il n'avait que ça à faire, l'attendre. « Asseyez-vous Lysandro. » lui commande-t-il, et il n'a d'autre choix que d'obéir. C'est du moins ce qu'il se dit à cet instant tandis qu'il pose son cul sur la chaise presque trop confortable. « Vous avez inscrit Morelli sur votre dossier. » C'est son nom, pourquoi en aurait-il inscrit un autre ? Mais Lys se tend légèrement, il sait déjà ce que l'autre compte lui reprocher, en apercevant une photo sur le bureau, ce visage qu'il a déjà vu sur une autre, alors qu'il semblait plus jeune, plus... « Quand comptiez-vous nous dire que vous êtes son fils, Morelli ? Quand vous auriez suffisamment d'informations sur nous pour lui en donner ? » L'accusation est ignoble, et déjà ses poings se serrent sous la colère qui rampe sous sa chair. On pouvait l'accuser de beaucoup de choses, mais sûrement sur cette envie de servir son pays et envoyer des êtres comme son... son... père, puisqu'il fallait l'appeler ainsi. Cette pourriture qui n'avait jamais repointé son nez, ni avant, ni après, ni pendant. « Je vous interdis de parler de ce vous ne connaissez pas. Je n'ai aucun lien avec lui. » Les mots s'échappent de ses lèvres serrées, tandis que l'homme contourne son bureau pour s'approcher de lui. « Vraiment ? Ce n'est pas l'impression que cette histoire nous donne... La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre à ce qu'on dit... » L'homme appuie sur la blessure à vif, et le poing s'élève pour percuter le visage accusateur avec violence. Il s'est tendu comme un arc, jouant de la proximité, et de tout ce qu'il a appris, dans la rue, les foyers, puis l'académie. Mais aussi il réalise sa connerie, il vient de frapper une supérieur. Il est dans la merde, il recule, il observe, il se mordille la lèvre comme si cela allait tout solutionner. Mais l'autre se met à rire. Il est fou. « Je ne l'ai jamais rencontré, connard. » Lui aussi, il appuie finalement. Peut-être qu'il est aussi fou que l'autre type, mais il ne peut pas s'en empêcher. Il a encore envie de le frapper, de le faire taire avec son rire à la con. « Alors ça va devoir changer, Morelli. ... En passant, bon crochet du droit. » Estomaqué, Lysandro ignore s'il est sérieux ou s'il est réellement fou. Il n'a pas compris ce qu'on lui propose. Il n'a pas saisi dans quoi il ne va pas tarder à s'embarquer. Non, il ne le sait pas encore.

FLASHBACK - « Tu m'as dit que tu voulais que je te donne la vie qui te revenait de droit, que je te devais bien ça, Lysandro ! » Les mots qui hurlent à ses oreilles, qui fissurent son tympan sous le souvenir de ces paroles qu'il lui a bel et bien dites. Ce besoin d'être reconnu par la père alors que toute sa vie partait en couille. Éjecté de l'école de police avant même d'avoir obtenu son diplôme, classé dans les alliances mafieuses avant même qu'il ne l'ait jamais fait. Les voici les reproches qu'il avait fait. Sans oublier les 6 mois en prison pour coups et blessures sur un officier. « La voilà cette vie, ta chance de prouver que t'es bien mon gosse et que tu mérites ta place parmi nous ! » L'arme entre ses doigts lui brûle la paume rien que par sa présence, alors qu'il fixe ses prunelles sur le visage tuméfié, le corps en miette sur lequel il s'est déjà acharné. Ses jointures rougies de carmin peuvent en témoigner, la barre en fer qui a roulé à quelques mètres pouvait le hurler. Mais c'était une autre commande que l'on venait de susurrer avec âpreté à ses oreilles. « Tire ! » L'ordre qui consume. L'ordre qui fait trembler le monde. L'ordre de prouver sa loyauté en une cause en laquelle il ne croit pas. Il est un fervent défenseur de la loi, même s'il n'a eu d'autres choix, pour sa mission, que de se noyer sous une violence quasi-néfaste, qui le dévorait seconde après seconde. Un chien qui s'arme non loin de son oreille... Lysandro tourne son visage vers le canon braqué droit sur son crâne, alors qu'il sent ses doigts trembler de devoir commettre un meurtre. « Si tu ne prouves pas ta loyauté, t'en sais trop pour rester en vie, fils. » Il pouvait presque entendre la déception qui camait ses mots. Mais surtout l'inévitable boîte en sapin s'il ne faisait pas ce que l'on attendait de lui. Alors Lysandro laissa son regard revenir sur le visage abîmé, croiser ces iris qui se faisaient suppliants, comme si l'être avait déjà compris que la balance n'était plus en sa faveur, que s'il devait choisir entre le futur cadavre au sol, et sa vie, le flic n'hésiterait pas. Il balancerait aux ordures ses convictions les plus tenaces. Personne ne l'avait prévenu, qu'il n'aurait pas le choix de vendre son âme en devenant ce qu'il haïssait le plus au monde. Personne n'avait pris le risque de lui dire que l'on ne pourrait pas le tirer d'affaire s'il se retrouvait devant un cas de conscience du genre. Même dans une autre situation, on ne pourrait pas, car il ne portait pas de micro, il se contentait de faire ses rapports, voilà tout. Personne... ne soulagerait son âme. Personne. Il lève son arme, les tremblements cessants comme pour témoigner de la nouvelle détermination de son porteur, et sans une hésitation supplémentaire, la détonation retentit, le sang éclaboussant ses traits figés. Quelque chose se brise à cet instant. Quelque chose qu'il n'arrive pas à déterminer, mais c'est là, au fond de lui. Le murmure qui enivre et prouve combien il est grisant d'abattre un homme, de posséder ce pouvoir dérisoire. Et cette tape dans le dos, synonyme de fierté. Il est un homme à présent, un mafieux à part entière, il a tué pour la cause. Il est l'un des leurs, un pourri, un assassin, un salopard. De la bile au creux des lèvres, Lys reste sourd aux félicitations, mais il suit le mouvement, esquisse un putain de sourire fier et satisfait qui lui coûte, se détache du cadavre encore chaud et emboîte les pas de son paternel. Un homme auquel il ressemble à présent plus qu'il ne l'aurait souhaité.