les échoués.

Dans tes souvenirs, raconte-nous la première fois où tu as été confronté au « Mal ». Quelles étaient alors tes options et quel a été ton choix ? ✚ « ginévra, tues-la, tu ne demandes que ça. » regard dénué d'humanité sur le corps frêle de la génitrice qui l'a maintes fois rabaissée, trop de fois tabassée. « nous pourrons vivre notre amour. » les pépites se dirigent vers le paternel, à la fois tentées et interloquées. elle ne devait pas savoir. elle n'a plus le choix... mais elle ne peut pas. alors elle refuse, alors elle va être traquée ; elle le sait. Tes choix de vie t'ont-ils déjà apporté des ennuis ? ✚ ginévra, elle ne s'est jamais regardée autrement ; ce qui est fait est fait. pour autant, les ennuis sont là. elle a essayé de les doubler, la folle. elle s'est emparée de la couronne, la bouffonne. alors ils traquent, chiens galeux aux babines retroussées sur des canines ensanglantées. ils la traquent et aimeraient la voir morte pour les crimes qu'elle a commis. pour les vies dont elle s'est emparée, marionnette entre les mains expertes du manipulateur. du père. Quelle importance accordes-tu à l'humanité dans son ensemble ? Comment te comportes-tu socialement ?  ✚ humanité... vaste mot que la rousse n'a jamais compris. l'humanité, c'est dénué d'intérêt. l'humanité, c'est avorté. plus d'humanité dans ce monde gangréné. ginévra, elle regarde pas les autres. elle s'en fiche, d'eux. ils la paient, elle voit l'argent rentrer, espère que la peau couvrira davantage ses côtes saillantes mais se fiche de ce qu'ils font, se fichent de leur vie. insectes parmi les hommes, têtes pensantes, têtes haut placées qui décident de l'avenir des cloportes entre leurs mains. alors, avec les autres, ginévra attaque. ginévra brusque. ginévra mord. ginévra s'y confronte, s'agace d'eux. si son palpitant est malade, sa langue elle est acerbe. Serais-tu plutôt la « tête » ou la « main » ? ✚ la main qui assassine, la main qui tambourine, butine les corps, en fait des victimes. la main qui n'écoute rien, qui s'acharne, s'abat, laisse apparaître le liquide crasseux d'une vie qui n'est plus. Quelles sont tes pires craintes et tes plus grandes angoisses ? ✚ le secret qui s'échappe, s'égare, se fait écouter, se propage. la gamine reconnue coupable d'inceste, coupable d'avoir aimé un paternel plus qu'il n'en avait le droit de par sa condition. autre crainte, être retrouvée. qu'on mette la main sur elle et qu'on la pende par les pieds pour ses méfaits. qu'on s'amuse à trifouiller l'intérieur de ses chairs, qu'on la blesse jusqu'à l'agonie. Dans ces adjectifs, le(s)quel(s) te définis(sent) le plus ? ✚  Improvisation, impétuosité, rêverie, instabilité, adaptivité, sens pratique, intuitivité, négligence, gaspillage, passivité, habitude, introversion.

- payne, un client pour toi.
le cœur lourd, le cœur malade, les talons qui claquent, ginévra monte les escaliers dans un soupire à fendre l'âme. les cuisses écartées, les cuisses martelées, la dignité piétinée, la voilà devenue prostituée pour un amoureux des rousses.
sa longue crinière de feu tombe le long de son dos cambré ; sa peau laiteuse, presque blafarde sous la lumière criarde des ampoules bon marché, n'est couverte que d'une guêpière, de bas, d'un soutien-gorge et d'un manteau noir en fausse fourrure.
les prunelles mises en valeur par un trait noir, on ne voit que deux émeraudes sur son faciès martelé par les années. elle pousse la porte et ginévra cesse d'exister.
payne s'approche de l'homme aux tempes grisonnantes, l'âme frissonnante. un homme mûr...
l'image de son père vient se figer devant sa rétine. l'image de leurs étreintes passionnées. l'image de leur amour interdit, blasphémé.
pas besoin de savoir le nom du client ; payne sort un préservatif d'entre ses seins, se débarrasse des fioritures. elle s'approche, féline, assurée, bestiale, pour mieux l'embrasser. pas d'amour, jamais.
la bête s'abat sur sa proie, primale. les deux fauves se confrontent, se blessent, alors que les corps s'entrelacent et se perdent l'un dans l'autre.
il l'électrise. il lui fait oublier qu'elle n'est qu'une chose promise. qu'une chose utilisée, bientôt jetée.
mais d'un coup, son palpitant a un raté. d'un coup, son palpitant se serre. douleur fulgurante, gamine qui se recroqueville sur les draps, se laisse tomber, haletante.
ça ne peut pas recommencer elle rage furieusement.
et le lion qui toise la gazelle. et le lion qui rugit qu'il n'a pas payé pour des pièces détachées. qu'il n'avait pas fini de la baiser, qu'il n'était pas encore repu de son petit cul.
myocarde défaillant, elle articule. maladie qui n'a de cesse de la traquer, qui refuse de la laisser vivante.
dans la pièce, ça sent la transpiration. ça sent le sexe. l'amour dégueulasse, le foutre qui ne demande qu'à se répandre sur la peau laiteuse, diaphane. mais ginévra n'est déjà plus là. ginévra s'en est allée dans les souvenirs de son cœur pourrissant.


- votre fille est malade.
les mots du médecin claquent. les joues perdent leur couleur. les prunelles s'assombrissent quand le verdict tombe.
- cœur malade. cœur atrophié qui jamais ne pourra se développer correctement. cœur en sursis, cœur qui bientôt quittera la vie.
deux têtes se retournent vers le minois roux. dix années et déjà l'épée de damoclès qui s'abat. elle ne comprend pas, ginévra.
- qu'est-ce qu'il se passe ?
elle demande. elle voit bien les regards paniqués, les regards dépités. les adultes expliquent à l'enfant qu'elle n'aura sans doute pas le temps d'être maman. la fin de l'enfance, la fin de l'innocence.
- une opération peut être effectuée.
miracle qui éclaire les visages, redonne un espoir qui va à son tour être avorté. le coût de l'opération qu'ils ne peuvent assumer. leur fille condamnée. elle n'atteindra sans doute jamais les cinquante années. elle devient christ qui s'écroule sous le poids de la croix, couronne d'épine qui enserre sa cervelle alors que l'avenir est impossible à définir.


le bruissement des corps qui se frôlent sur les draps. le gémissement qui s'échappe des lèvres entrouvertes, les ongles qui s'enfoncent dans la peau. ginévra a quinze ans et elle pêche avec passion. pourquoi se priver ? elle est déjà morte.
entre ses cuisses, son père, qui la martèle, la malmène. ils s'aiment d'un amour incompréhensible, d'un amour versatile. la vérité, c'est que le paternel n'obtient plus satisfaction sexuelle auprès de son épouse. sa gamine est magnifique... elle l'aime. pourquoi ne pas faire pression ? pourquoi ne pas lui répéter que c'est dans la nature, qu'ils ne font rien de mal ?
alors ginévra, malléable adolescente, elle accepte. elle l'aime. c'est son père, celui qui l'a vu naître, mais ce n'est pas que ça. il est tout ce qu'elle a.
elle accuse les coups des corps qui s'affrontent, des corps qui s'embrasent, s'embrassent, s'enlacent. et bientôt, sa voix éclate. bientôt, c'est la jouissance qui l'enserre, la prend, la laisse pantelante.
et son père qui passe une main transpirante sur le visage de son enfant. et les lèvres qui se joignent alors qu'ils demeurent l'un contre l'autre, reprenant une respiration qui ne vient pas.
madame vaughn sait. elle n'est pas aveugle, n'est pas bête. elle fait simplement semblant de ne pas voir... parce qu'elle ne veut pas voir.
elle s'enferme dans la religion catholique, supplie dieu de les punir pour leurs actes immoraux. elle serre son chapelet entre ses mains abîmées, crache sur cette fille qu'elle aurait dû laisser crever. le sang coule autour des perles qu'elle harcèle de ses doigts, la haine qui ronge ses tripes pour ce couple qui ne mérite pas la vie.


- ginévra, tues-la, tu ne demandes que ça.
regard porté sur la génitrice étendue sur le sol, qui se protège maigrement de ses bras. son œil, bleu à cause des comètes portées par le paternel, est à moitié fermé. le second est froid, dénué d'amour. elle ne l'a sans doute jamais aimé ; ginévra se souvient douloureusement des gifles encaissées. dès lors qu'elle ne faisait pas les choses telles que maman les voulait, elle était frappée. et maman qui assenait toujours les endroits cachés.
et papa qui, le soir tombé, constatait des côtes fêlées. et papa qui ne pouvait rien faire à moins de trahir le secret.
- nous pourrons vivre notre amour.
y'a l'hésitation dans les prunelles claires. regard adressé à papa, retour sur maman. ginévra a vingt ans. et papa qui les trahit en affirmant clairement qu'ils vivent un amour décrié, un amour maudit par la société.
elle regarde la génitrice. les pensées s'enchaînent, s'entremêlent, explosent. maelstrom dans une tête trop petite, elle ne sait pas... mais son palpitant, lui, se remémore les bons moments. quand, chez le médecin, la main de maman s'était agrippée à celle d'une ginévra qui ne comprenait pas. quand maman a pleuré pour sa gamine, déjà morte à l'intérieur.
y'a le couteau qui frémit dans ses mains. le couteau que papa lui a donné. le couteau qu'il espère voir s'abattre sur le corps de sa femme, pour que les deux ne puissent plus l'ennuyer ; si ginévra l'assassine, elle sera emprisonnée. il pourra refaire sa vie, manipulateur qu'il est. ginévra ne voit pas l'homme qu'il est au fond.
mais ginévra ne peut pas.
le couteau tombe sur le sol dans un bruit métallique. maman qui éclate de rire, hystérique.
- t'aurais dû me tuer, gamine. tu m'as tout pris... et tu vas bientôt le regretter.
la rousse se retrouve aussi démunie que lorsqu'elle était enfant. elle monte les marches quatre à quatre et prépare ses affaires. elle n'a plus rien à faire ici, il faut fuir.


cinq ans qu'elle est partie de la demeure familiale avec la peur constante d'être retrouvée par maman. elle rapprochera la date qui flotte déjà au dessus de la tête rousse avec ses poings. ginévra regarde autour d'elle, toujours, tout le temps. tout le monde est suspect.
et pourtant, il faut bien continuer d'exister... alors elle se rapproche d'un garçon. un garçon qui lui promet merveilles et monts. elle le suit, l'écoute.
elle abat son bras sur les innocents quand il le demande. ils devaient mourir, c'était décidé. comme moi, a-t-elle envie de rétorquer. mais sa bouche demeure fermée. elle vole, parce qu'ils pourront vivre heureux ensuite.
elle ne sait pas qu'il trempe dans des affaires louches. elle ne sait pas qu'il se fout d'elle, qu'elle n'est qu'un moyen de parvenir à ses fins. elle ne sait rien, alors elle fait les basses besognes, augmente le nombre de goûtes de sang sur ses mains.
et le soir, quand elle essaie d'attraper le sommeil, y'a les morts qui viennent la harceler. y'a les morts qui lui disent que ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle les rejoigne, qu'ils puissent se venger.
puis, un jour, elle surprend une discussion. masque qu'il a arraché, le garçon qui se montre sous son vrai jour, qui explique que la rousse sera bientôt tuée pour que jamais elle ne puisse les dénoncer.
et ginévra qui a le palpitant brisé. et ginévra qui décide de les voler avant de s'enfuir, une fois encore. elle met tout l'argent qu'ils ont amassés dans un sac où elle ajoute quelques affaires et son cœur en miettes.



payne qui reprend conscience, ses pépites s'attardant sur les traits du client.
et la proposition qui change sa vie : un cœur qu'il pourrait lui obtenir. un palpitant qui pourrait remplacer le défaillant, lui offrir quelques années de plus. elle sait qu'il tuera. elle sait mais elle ne peut pas refuser ; on n'a pas deux fois une chance comme ça.
ginévra, elle a passé sa vie à réparer les erreurs que son cœur à la mécanique brisée a causé. les erreurs qu'elle a faite en pensant qu'elle allait mourir rapidement. aujourd'hui, elle ne veut plus fuir. aujourd'hui, si ses prunelles continuent de fouiller l'obscurité et les visages qui se retournent sur son passage avec la peur d'être rattrapée par ses démons, y'a le fauve qui se réveille. y'a la bête égoïste qui accepte qu'on tue pour elle.
cet homme, elle ne le connaît pas. il pourrait être n'importe qui.
pourtant, aujourd'hui, il est son salut et il lui ouvre les portes de la vie.

Elle a du vécu ta petite dame, tu as parfaitement su sublimer le personnage.   J'ai dévoré ta fiche, il ont bien de la chance les fréres malheur.