be quick... or be dead.
L'on dit que le sang prime sur tout, qu'il nous façonne, nous enchaîne, nous maudit. A certains, le sang offre une vie opulente et privilégiée. A d'autres, une vie de servitude.
Grim Cole.
Ce nom est celui d'un môme, d'un gamin curieux et adroit qui ne sait rester à sa place. Il est celui d'un enfant trop éveillé qu'on ne peut brider, d'un bâtard indocile, riche d'une mère servante, pauvre d'un père qui ne sait qu'ignorer son existence. Grim, « le sourire aux lèvres ». Malin, ce gosse pose sur le monde un œil avide. Il a soif de savoir, est affamé d'une expérience qu'il constate si longue à acquérir ! La tâche n'est pas aisé. Perché au sommet de ses traditions -un bel héritage familial !, Grim s'agrippe à ce qu'il ne veut perdre, mais tend une main cupide en direction d'une ambition impropre à sa condition. Ce pauvre gitan, noyé dans une aristocratie corrompue ; ce rejeton de la Bohème, condamné à un avenir fait de servitude et de modestie. Au diable les courbettes ! Le gamin a de la suite dans les idées et sait que le temps est instructeur prodigieux. Bientôt, il troquera son existence médiocre contre une autre... Celle qu'il aura choisi.
Mais d'abord, sa patience n'est qu'apparence. Chaque jour d'avantage, les ordres se font tenailles, les corvées deviennent supplices et le regard de l'Autre sur son quotidien tourmente une fierté déjà mise à mal. Mais le gosse attend et exécute. Dans le jardin qu'on lui confie, il bêche, ratisse, plante, creuse, coupe, cueille, arrose, récolte... tandis que son cœur piaffe, que son esprit trépigne ! Cet esprit en mal d'évasion... Celui-là même qu'il reconnaît insatiable et gonflé d'une voracité bruyante. Un éclair de lucidité pourtant à des lieux de la réalité...
Enfin, il met fin à cette monotonie assassine. Il laisse misère, abandonne obligations et oublie soumission. Il s'évade, fuit une prison royale pour se donner la possibilité d'un choix. Il peut-être ce pauvre piaf sans ardeur, échappé d'une volière dorée et becqueté par le premier prédateur venu ; ou bien ce rapace d'envergure au plumage noir de convoitise, rongé par une cupidité tenace qu'il fait maître-mot de son existence. Sage, il sait choisir le temps idéal de son départ. Fort du souvenirs de ses ancêtres connus à travers les chants de sa mère, le gitan reprend la route. Cette route qui le façonne, prend les rênes de son instinct et offre à ses désirs une importance trop proche de la démesure. Plus encore, cette solitude nouvelle le met face à lui-même et l'oblige à retirer le masque solide qu'il arbore depuis trop longtemps. Chaque pas, chaque mile émiette ce semblant d'humanité imposé par une mère soumise. D'une main vorace, il flatte ainsi le volant de la vieille Ford – volée à celui qu'il disait ami. D'un œil, il caresse l'horizon, elle qui est promesse d'un avenir incertain, elle qui se drape d'un voile immaculé... celui de la liberté.
Rafiq Tamim.
Ce nom est celui d'un homme robuste. Il est celui d'un être solide et brutal, qui arbore fièrement la moustache et guide ses alliés d'une main de fer. C'est un patriarche, un souverain barbare à la tête d'une famille qui n'est pas vraiment la sienne. On le sait courtois, et fort de cette civilité il ouvre sans question les portes de son foyer à quiconque le mérite. Des portes qu'il ouvre et referme rapidement. Des portes qui ensuite restent closes et ne cèdent à aucun supplique. Carnassier, cet homme est un fauve habile qui sait se faire chat, puis dévoile une paire de crocs menaçants. Il est personnage diabolique qui se dit mentor et dissimule la pourriture de son âme derrière une auréole de bienséance, un faciès de décence et de pudeur. Et au cœur du monde qui est le sien, respire un marché prometteur constitué de contraintes, de sexe et d'excès. Un monde sauvage, teint de sadisme et de barbarie... Un monde ô combien fascinant que le seul hasard présente à un globe trotter un poil énigmatique noyé dans une mer de rêve puérils, à un pauvre bâtard sans le sou en quête d'une existence sans mépris, à un gamin qui sait interpeller l'attention de Tamim... il voit son potentiel, devine une cupidité alléchante, le constate assoiffé de respect, autant que de pouvoir... Alors par curiosité bien plus que par charité, Rafiq laisse Grim pénétrer son univers. Il fait de lui un « passeur » hors pair, ainsi qu'un allié fidèle. Du moins croit-il avoir la moindre influence sur le garçon, croit-il le modeler à son image et lui confier un semblant de confiance.
Une erreur grosse comme le monde que Grim Cole l'obligera à lui céder.
Lilly Dixon.
Ce nom est celui d'une femme délicate. Il est celui maîtresse banale, d'une demoiselle capricieuse aux cheveux aussi clairs que son âme est sombre. Il est celui d'une joueuse hors pair, d'une nymphe gracieuse qui aime à s'entourer d'hommes de pouvoir. Elle est sans moral et n'accorde aucun crédit à l'éthique. Amante fidèle à son maître – Rafiq Tamim, elle suinte d'une médiocrité tenace. Jusqu'à susciter l'attention de Cole... Là est sa véritable originalité. Là est l'exception remarquable, fait aussi soudain qu'inattendu... Sans le séduire, elle l'intrigue. Sans lui plaire, elle l'obsède. Sans réelle qualité, elle est l'interdit, l'intouchable, l'être à part qu'il n'a en aucun cas le droit de posséder. Elle est ce fruit criard et nauséabond dans lequel Grim croque à pleine dent. C'est aisé. Il est jeune, plus que charismatique, délicieusement mystérieux et doté d'une audace trop proche de la démesure. Il est tout ce qu'elle aime, sans posséder cette autorité qu'elle ne cesse de convoiter. Facilement, elle lui cède. Elle ne se pose aucune question, ne souffre d'aucune hésitation. Elle le laisse lui sourire, se noie dans ses prunelles énigmatiques, tremble de désir sous ses caresses veloutées et jouit sans complexe sous le joug de son dard viril. Et il n'existe entre ces deux êtres ni plus ni moins qu'une débauche sans tendresse, qu'une sauterie bestiale dénuée de délicatesse. La fornication à l'état pur...
Ainsi Cole pulvérisa-t-il l'interdit. Ainsi s'imprégna-t-il du mensonge. Ainsi l'élève abusa-t-il du maître. Et aussi futile cet agissement soit-il, il met un terme à un apprentissage long et savoureux, achève des années d'une servitude utile et installe Cole au pied d'un trône mille fois convoité.
Grim Cole.
Ce nom est celui d'un homme ambitieux. Il est celui d'un être adroit et fort d'une assurance sans limite. Il est celui d'un prédateur emprunt d'éloquence et d'adresse, qui ne recule devant rien, qui met l'Autre au service de sa propre réussite, qui n'hésite pas à détruire pour ériger un empire à son image. Âme abjecte et nauséabonde empruntant le sentier du non retour tandis que Rafiq – en disciple de la Mort, juge son péché capital.
Ce jour, Tamim met son élève face à sa trahison. Ce jour, c'est l'un ou l'autre. Aucun ne peut durer tant que l'autre persiste. L'un le sait. L'autre le sait. L'un est armé. L'autre non. Le moindre mot est inutile. Grim voit le regard de son maître et désormais ennemi, devine sa haine et cette soif irrépressible de vengeance, sait l'intention de cette main dissimulée dans sa poche. Une seconde lui sera nécessaire, pour sortir son revolver et presser la gâchette. Une seule et unique seconde sera nécessaire pour envoyer Grim dans une tombe déjà creusée, pour satisfaire un besoin animal, pour soulager une fierté mise à rude épreuve. Alors Cole laisse une fois de plus parler son instinct et s'empare du seul objet à disposition : une plume – pinceau presque centenaire encore noire d'encre... Puis il frappe, sans laisser le maître anticiper son geste. Tchac ! La plume s'enfonce dans sa gorge. Tchac ! Elle s'attaque à l’œil. Tchac ! Elle lui perce la tempe... Et y reste. S'en est terminé de Rafiq Tamim. Il a eu le temps de comprendre, de souffrir et de serrer avec force une arme inutile. Sans lenteur, il s'effondre, une plume logée dans son crâne... Fin pathétique et préambule barbare d'une vie parée d'un rouge tapageur.
L'on dit que le sang prime sur tout, qu'il nous façonne, nous enchaîne, nous maudit. A certains, le sang offre une vie opulente et privilégiée. A d'autres, une vie de servitude... Ne tient qu'à toi d'y mettre un terme.