Le bonheur c'est tellement éphémère, ça dure un jour, puis deux, septs ans et on croit toujours, que ça ne peux pas s'arrêter tel que c'est si bien partit, on vogue sur une mer de bonheur, on est jeune, on a pas encore l'âge de se soucier de quoique ce soit. Croire c'est beau, ça réchauffe le coeur quand le blizzard s'annonce, ça rappelle de ne pas fermer les yeux quand les nuages noirs arrivent, mais ça suffit pas pour effacer le malheur quand il s'abat tel le déluge. Sans arche c'est la noyade. Alors même du haut des huit années qui le précédaient, Adonis n'aurait pas pu tourner autrement. Au départ c'était bien, famille aimante, bons résultats scolaires, une existence bien rangée, sans vagues, du moins en apparence. L'avantage d'être petit c'est de ne pas comprendre que papa ne boit pas du jus de pomme, bien que ça en ait la couleur, croire maman porte un joli foulard simplement pour être belle, alors que le mal est plus profond . Alors tout content, il lui en offre un, il l'a acheté tout seul avec l'argent qu'il a trouvé dans sa tirelire, grâce à la Petite Souris. Bien sur, on ira pas lui dire que c'est son père qui l'a glissé dans la nuit sous son oreiller. Comme on ne lui dira pas que ses jouets ne viennent pas non plus du Père Noël. De toute façon, il s'en doute un que c'est des conneries.
Mais il est heureux alors à quoi bon ? Pourquoi gâcher ce qui est bon ?
Ça dure qu'un temps de toute façon. Les grandes études ce n'est pas pour lui, il n'est pas très doué, il ne retient pas grand chose, un vrai débile d'après son père. Il est spectateur chez lui, il regarde ses parents s'aimer mais jamais eux ne l'aiment en retour, le monde s'aime, mais lui on l'a oublié, laissé derrière comme un fardeau. Et il veut aimer ce monde, pourtant. Même s'il hait les autres chaque fois qu'ils respirent. Ces autres d'ailleurs, les autres de son âge, avec il a cette sensation, de n'être rien. Une bête de foire, sans plus et il a beau s'amuser un peu trop avec les lames que son père cache sous son lit, ça n'y change rien. La seule personne qui veut bien l'écouter c'est la dame en blouse blanche et avec les lunettes, mais il sait que s'il s'habitue à sa compagnie il finira avec les fous. Son père fera tout pour s'en débarrasser, il en est persuadé au fond de lui. Il n'est pas fou, il ne peut pas être fou. Il ne veut pas croire que l'homme en gris que son père rencontre tous les jeudis soir n'est qu'un collège. Pire un fantôme.
On lui répète sans cesse, le paternel crie, bâtard, fils de pute même. Toutes les insultes sont bonnes, il brise la frontière entre rêve et réalité et la nuit quand il voit son ombre et son sourire carnassier, Adonis ne sait plus s'il rêve où si cet homme est bien en train de le pousser à bout, si c'est bien lui qui le frappe où s'il se jette tout seul contre les murs. Il ne sait pas s'il doit croire la voix de sa raison où celle du chef de la famille, qui sait tout, qui voit tout. Sa mère est plus distante, elle qui avait encore la douceur de lui faire des cookies, geste incroyablement bon de la part de parents indignes, s'en va à l’hôpital. Son père peut bien le baratiner, il n'est plus un gamin, il comprend bien qu'il se passe des choses graves et qu'il ne peut rien faire. Même s'il pouvait, on ne le laisserait pas faire, il n'est pas voulu, il n'est même plus sur que sa mère soit sa mère et son père, son père maternel. Des personnes aussi cruelles seraient ses parents ? L'idée est ridicule. Il est un étranger pour eux, rien de plus qu'un étranger. Il est presque déçu quand il a la confirmation qu'il est bien le fruit de cet amour exclusif.
Puis un jour ses parents reviennent, ils font leurs valises et d'un regard entendu luis disent qu'ils s'en vont en vacances, prendre une pause, maintenant que "maman" va mieux. Parce qu'ils le prennent tellement pour un gamin qu'ils n'osent pas parler normalement. Ils laissent tout derrière. Il ne reviendront pas. Il est libre maintenant. Adonis leur en veut, énormément, mais au moins, il sera seul maintenant et les cauchemars pourront s'arrêter. Si seulement ce ne sont que des cauchemars. Être heureux, c'est ce qu'il pensait être, jusqu'à ce que l'homme en gris l'attende chez lui et éclate sa petit tête d'ange contre la porte. Leçon numéro une, ne jamais croire que l'on peut-être heureux. Les mots de son père s'abattent sur lui comme la foudre, il se souvient de ses petites règles instaurées dans la chambre, quand il lui tordait le poignet pour voir si ses os étaient assez durs et s'il ne méritait pas d'un peu d'exercice. Il a désobéi, voilà où ça l'a mené. Il savait que sa mère était malade. Il ne savait pas que son père fréquentait des sales types pour payer le traitement, l'homme paraît plus humain un instant. Mais il a tout de même abandonné le gamin aux fauves, par amour, c'est ridicule. Adonis descend aux enfers une première fois, pourtant, il a ce sentiment qu'il n'en sortira jamais, sauf entre quatre planches.
Échapper à la mort en la provocant ailleurs, c'est le seule condition. Il n'a qu'à continuer le buisness de l'autre - pas "papa", plus jamais. Il regarde de loin la petite famille, la gamine qui a quoi, cinq ans ? Joyeuse, ce sourire qu'il avait aussi quand il était tout jeune. Un autre, plus grand, un garçon, il a ce truc dans les yeux, il doit avoir son âge, ils auraient pu être amis qui sait. Ils se sont sans doute croisés plus jeunes, mais de toute façon, on ne remarque jamais Adonis. Il est beau, c'est dommage, il aimerait bien aller vers lui, tout lui dire. Il ne doit pas se dégonfler. Il n'ont pas de mère apparemment, demain, ils n'auraient plus de père. Mais il ne doit pas regarder dans les yeux, ça ferait naître les remords. Il doit juste faire ce qu'il a toujours fait. Empoisonner, pourrir la vie des autres. A l'aube ce papa là ne se réveillera pas pour voir ses enfants grandir. C'est horrible ce qu'il va faire, mais il se résigne. Peut-être parce qu'il ne reverra jamais la famille, ou parce qu'il ne sait pas ce que c'est que d'aimer.
Tout ça, ce premier "meurtre", c'était il y a deux ans.
Depuis, on pourrait dire que ça va mieux, en apparence toujours, la caboche est toujours un infernal torrent de démons rieurs. L'homme gris n'est jamais revenu, mais pourtant il n'a pas arrêté de le hanter, d'être dans son ombre. Il croit le voir sous son lit, lui dire de continuer. Il n'a pas arrêté de confectionner ses petits cadeaux, il ne veut pas décevoir ce fantôme. Il ne veut plus décevoir personne. Ou bien est-ce lui qu'il ne veut pas décevoir ? Il est maître de rien et de tout à la fois, peut-être qu'il aurait du y aller chez les fous. Le pauvre agneau, moucheron attiré par la lueur des prédateurs, emprisonné dans un bocal. Tantôt faible, tantôt curieusement lucide et conscient de ses vices. Il joue des autres. Il voudrait juste s’envoler.