Sleeping with the devil (Nate)
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26.02.16 22:35
Masque plein d’indifférence trop maquillé, le visage que j’arbore pourrait ressembler à celui d’un fantôme, la pâleur en moins. Je ne suis plus moi depuis longtemps, probablement trop, mais il me suffit de feindre pour qu’un sourire éclatant illumine soudain mon faciès. Une collègue s’est assise près de moi, responsable de ma soudaine joie mensongère. Le monde ignore et ce qu’il ne sait pas ne peut lui faire aucun tort. Tant que je suis là, tant que je danse avec ma grâce naturelle, tant que j’illumine la pièce de ma simple présence, je peux faire croire à ceux qui m’observent que je suis exactement tel que je semble. Et peu importe mon tourment intérieur, je ne veux que prétendre qu’il n’a jamais existé. Que jamais mon cœur n’a été malmené par son être. Et c’est avec un sourire lumineux que je compte le faire disparaître… Totalement. D’une oreille, j’écoute le commérage de ma voisine de miroir, mais mon attention est ailleurs. Le far sur mes yeux, le rouge sur mes lèvres attirent plus mon attention que ses mots, qui ne font qu’entrer dans une oreille pour ressortir par l‘autre. Autrefois follement attirée par ce genre de discussion, je ne m’excite plus des déboires d’une femme que je n’ai vu qu’une fois et je ne me plais plus à alimenter des discussions aussi douloureuse qu’inutile. Pourtant bien élevée, j’argumente son récit de quelques onomatopées bien placée, qui alimentent son égo autant que mon indifférence. Le moulin perd en force, son discours s’essouffle enfin et le silence reprend ses droits entre nous. Seulement pour quelques secondes avant que le caquètement de toutes ne reprenne soudain. La discussion n’est plus seulement entre nous deux et me libère du poids de prétendre m’intéresser.
L’heure arrive finalement. Celle d’être sous les feux des projecteurs. Celle d’être admirée mais pas touchée. Celle d’être splendide et intouchable. Ce sentiment grisant, plein d’une saveur unique, que je ne sais plus ressentir autrement qu’avec ce déballage outrancier de mes atouts. La prestance qui me caractérise toujours autant s’échappe par chacun de mes pores lorsque je me décide enfin à me lever, réprimant la grimace que la douleur aurait pu me tirer. Ce fichu genou reste toujours très sensible et il me semble évident que je ne devrais pas tirer dessus ce soir. L’argent manque pourtant dans mes caisses, je ne peux me dérober. Droite et fière, je m’avance lentement vers l’arrière scène, dans cette tenue outrancière, presque indécente, que je n’enlèverai qu’au prix d’un show endiablé… et d’une douleur attendue. Cette idée m’arrache un long soupir ainsi qu’un frisson d’anticipation, que j’ignore pour me lancer à l’assaut de la scène, dans un noir soudain qui me fait sourire. Les projecteurs bientôt seront sur moi, dans ce simulacre de ce qu’a pu être mon histoire, mais cette félicité qui ne me quittera probablement jamais ! Le bonheur d’être sur une scène occulte la gêne, occulte le public peu recommandable et seule cette sensation compte.
Et enfin tout commence. Le rythme langoureux se fait entendre et c’est de lui-même que mon corps se meut. Je ne maîtrise rien, laisse les ondulations parcourir mon être entier, dans une chorégraphie malséante qui s’étend aux pervers de la ville. Leurs prunelles semblent briller dans l’obscurité de la salle, mais je ne les vois pas. Je ne suis concentrée que sur mes pas, qui s’enchainent dans une parfaite impertinence, lorsque mon sourire se fait éclatant. Heureuse d’être ici, pas tout à fait, ce n’est que l’euphorie de la danse, que je récupère bien trop difficilement ces temps ci. Les minutes s’égrènent, trop rapidement à mon goût et vient le moment de récupérer les deniers que ma grâce attirent. Le moment si privilégié de la scène s’échappe, pour laisser place au côté ingrat, mais au combien payant, des danses privées. Mes yeux s’égarent, rencontrent enfin quelques regards licencieux, trop graveleux pour ne pas donner une nausée malvenue. Je fais pourtant fi, ramenant à mon esprit la robe qui me fait de l’œil depuis quelques jours, pour m’empêcher de penser à leurs mains probablement sales sur moi. Soudain, je sursaute. Ces prunelles, je les connais par cœur pour les avoir maintes fois observées. Ce regard azuré si profond, je l’ai parcouru des centaines de fois dans une amourette purement enfantine. Une chair de poule s’installe sur ma peau, qui n’a rien à voir avec la main baladeuse de l’homme le plus proche. Dans ma stupeur je me suis arrêtée, pour maintenant reprendre possession de mon corps et m’avancer vers lui d’un pas vif. Autoritaire, presque impérieuse, j’attrape ses doigts, sans rien dire et l’attire avec moi. Je louvoie entre les clients, ignore le regard interrogateur de mon patron, pour m’enfermer dans une salle, seule avec lui. Et c’est un nouveau frisson qui me parcourt, qui n’a cette fois rien à voir avec la surprise. C’est la peur qui nourrit mes veines et me pousse à m’adosser à la porte, pour ne pas le laisser maîtriser la situation. « J’arrive pas à croire que tu sois là ! Je veux pas te voir et c’est comme ça que tu réagis ? En me stalkant ? » L’hystérie frôle mon ton et mon regard s’échappe sur tous les murs possibles, incapable de me perdre une fois de plus dans cet azur qui fait naître ces sentiments si contradictoires.