mais c'est en vain (freyra)
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14.02.16 22:03
MOTHER AND DAUGHTER
Continuer à respirer, juste respirer. C'est facile: inspirer, expirer.
Le ciel de ce mois de février est noir, chargé de nuages. Le froid s'est emparé de la ville depuis quelques jours déjà, bien à mon avantage, me donnant une excuse pour porter des écharpes et cacher les bleus de mon cou. Rien qu'à y penser, je sens encore les doigts de cette femme serrer ma gorge. Mais plus comme un songe que comme un réel souvenir. Comment savoir ? Avec toute cette boisson après tout, tu as bien pu rêver ? Tu rêves bien de Maddie de façon si réelle alors que tu ne te souviens même plus de son visage une fois le jour levé ! Un lourd orage s'annonce à l'horizon, de quoi enfermer les familles de Cliffshire chez elles pendant pas mal de temps. Sur le sol trempé d'eau de pluie, mes bottes éclaboussent les autres adolescents attendant leurs cars tandis que je me faufile parmi la foule de lycéens pour accéder à ma voiture. Au loin, sous leurs parapluies bariolés, des filles qui se considèrent comme mes amis m'adressent des sourires et des signes de main en guise de « à demain », auquel je ne réponds pas, courant jusqu’à mon automobile. Idiotes. Une fois assise sur les agréables sièges en cuir de ma comète, je soupire, et fourre la main dans la poche de mon pantalon, duquel je sors un bonbon à la menthe enroulé dans un papier hermétique doré. La liqueur de la sucrerie fond sur ma langue.
Je roule sans réfléchir pour sortir du parking de l’établissement, puis jusqu’à mon quartier. Quand défilent enfin les premières maisons de ma rue, je suis prise de mélancolie. Ici, toutes se ressemblent. Je leur trouve quand même quelque chose d'intéressant à ses petites baraques sur deux étages, avec leur perron en bois et leurs fenêtres sans volets. Elles sont chaleureuses, et donnent une impression de calme. Alors que c'est tout sauf le calme qui règne à la maison. En regardant les autres habitations, je tente de deviner si à travers ces murs épais, nos voisins ont aux aussi des fantômes venant les hanter et des secrets à cacher. Une fine pluie tombe sur mon pare-brise, soudaine, qui me tire de mes pensées. Je me dépêche donc de rentrer, me garant plus ou moins bien dans l'allée, et cours sous la pluie jusqu’au perron. J'enfonce tout aussi vite la clé dans la porte, et entre, sans bruit. Je ne me préoccupe pas de savoir si je suis seule où non à la maison cet après-midi. Ma mère travaille tellement, alors ça m'étonnerait qu'elle finisse avant moi un jour de semaine. Je regarde ma montre : 14h36. J'ai dû faire quelques excès sur la route. Peu importe, personne ne le sauras. Je monte immédiatement dans ma chambre déposer mon sac et mes affaires de sport, accélérant en passant devant la chambre de Maddie, fermant même les yeux. Une fois dans mon espace, je balance mes affaires, l'un au pied de mon bureau, l'autre dans la panière à linge sale. La maison est calme, silencieuse, je dois être toute seule. Tant mieux. Croisant mon regard dans le miroir, je jauge ma silhouette, pinçant par moment mes hanches, mes joues, et mon ventre. Je reste ainsi quelques minutes, jusqu’à me décider à m'accorder un goûter pour aujourd'hui quand je reçois un sms. « Ashley : OMG TON FATHER SUR LA 3 ! Hihi t'mavé pas dit qu'il été si canon ?! ». Je soupire, et allume le petit écran de ma chambre, m'asseyant sur mon lit. En effet, il y a une rediffusion d'une interview entre mon père et une journaliste. Je fais abstraction de ce qu'ils se disent pour me concentrer sur ses traits. Il paraît toujours aussi beau, presque un peu plus bronzé, et à peine fatigué. Je reste quelques secondes bloquée sur son visage, essayant de me rappeler le vrai lui, sans maquillage et sans ces mimiques qu'il sert au public. Mais c'est en vain. Je me demande alors s'il pense aussi à moi, de temps à autre. S'il voit parfaitement mon visage dans son esprit, ou si je ne suis, comme Maddie, qu'une vague silhouette floue. Se souvient-il même de son visage à elle ? Je coupe la télé en plein milieu d'une phrase de mon père. Le dernier mot résonne à mes oreilles : « Base ». C'est peut-être ça qui me manque : une base. Une base solide sur laquelle m'appuyer ? Mais pourquoi faire, hein ? Tu es plus forte que ça. Je touche mon cou. Les bleus brûlent sous mes doigts. Je serre les dents. Ce n'est pas la même brûluer que celle de l'incendie, mais c'est un feu tout aussi ardent, qui s'attise un peu plus dans mes entrailles à chaque instants. Si forte ? Je doute de moi. Je ne doute jamais.
Sachant à quel point se perdre dans ses pensées peut être sombre, je me force à autre chose et redescends, bien décidée à boire un peu de thé et pourquoi pas à manger des tartines de beurre de cacahuète devant un livre ou une série. Une fois en bas, je me dirige immédiatement vers la cuisine, mais suis alertée par un bruit. Quelqu'un est en train de tourner la clé dans la serrure. Ça ne peut pas être « elle ». Mon rythme cardiaque s’accélère. Je touche par réflexe le pendentif tortue de mon bracelet et attrape le premier objet qui me tombe dans les mains, c'est-à-dire planche à découper. Je vais aller loin avec ça. Et m'approchant doucement de la porte, je m'attends au pire. Le pire, s’avère être ma mère, qui entre et me regarde avec une expression ébahie. Toute aussi surprise mais soulagée, je lui dis sur un ton de reproche : « Mais tu m'as fait peur ! ».