I wasted time, and now doth time waste me.

tes tics, tes manies, tes envies : elle griffe, elle griffe comme les chats, comme les tigres, comme les ours, elle protège à grands coups son indépendance arrachée à l'enfance, sa solitude traînée sur les routes américaines, et envoie loin, très loin, tous ceux qui tenteraient de trop s'approcher. Vous savez, cet espace invisible qui vous entoure et vous protège, et qui vous donne envie de mordre lorsque qu'un inconnu le franchit ? Becca ne mord pas, elle dégaine. ✚ les religions de toutes espèces et les religieux de tous ordres lui donnent la nausée. Elle rit d'eux, voudrait s'en moquer éperdument, les mépriser royalement, cracher sur les soutanes, mais elle se retrouve en réalité extrêmement mal à l'aise face à tout pèlerin. Ils sont naïfs, crédules, égarés, ils sont dans le faux, elle le sait pertinemment. Elle ne peut pourtant s'empêcher d'admirer leur innocente croyance et d'être déstabiliser face à leurs rituels trop familiers. ✚ la première gorgée de bière n'était qu'un défi face à l'ordre, idem pour la deuxième, la dixième, la centième. Mais aujourd'hui qu'elle s'est émancipée de toute figure d'autorité, pourquoi continue-t-elle inlassablement à brûler son gosier ? Becca noie dans l'alcool frelaté la poussière de la route, les doutes de son existence, la tristesse d'un paradis jamais trouvé. Elle arbore un sourire fier de minette qui sait descendre sa bouteille, et personne ne songe à lui demander le pourquoi du comment. ✚ Becca, ce fut très vite la tête pensante de la fratrie, celle sur qui il fallait compter, un rôle qu'elle a endossé avec fierté et efficacité. Aujourd'hui, elle aurait bien du mal à répondre à des ordres, à suivre une idée qui n'est pas sienne. Au sein de sa brigade, elle ne plie l'échine que trop rarement, et fort heureusement a affaire à un supérieur conciliant. Lui donner un ordre est une mauvaise idée. Pour elle qui risque de jouer sa carrière par témérité, ou pour vous si elle décide de riposter. ✚ Désabusée, vous l'aviez deviné ? Becca ne croit plus à rien, ni aux films, ni aux contes, ni aux rêves. Les histoires qu'on se raconte, pour se faire peur, pour s'émerveiller, elle n'en voit plus l'intérêt. Il n'y a que la vérité qui l'intéresse, celle qui se donne toute entière, celle qui s'arrache du coeur des menteurs, du corps des hypocrites. Celle qu'on ne peut entendre sans être changé. Elle n'aime ni les feintes, ni les manipulations. Sauf si elles sont siennes, bien sûr. Contradiction quand tu nous tiens. ✚ Elle aime la musique, elle aime les pas du voisin sur le plafond, le lit qui craque chez ses voisins, le moteur des engins dans la rue, elle aime le bruit, la fureur de la ville, le rugissement de la vie, elle aime les sons qui viennent casser la solitude, sa véritable angoisse, sa nemesis, sa compagne terrible. Elle aime le chaos et choisirait l'apocalypse au paradis, de peur de s'y ennuyer, de peur d'être confrontée à elle-même. ✚ Becca est seule, elle apprenait presque à le vivre, elle allait peut-être finir par faire face à ce poids oppressant qu'elle occultait soigneusement. Au lieu de ça, la voici qui court vers ses soeurs, tenter de retrouver une unité déchirée, tentant d'oublier une solitude déjà établie. Il est trop tard, Becca ne veut pas le voir, elle porte sa solitude, même dans les retrouvailles.